Eloge de la nudité: entretien avec un modèle nu

Article par Mathilde Jobidon paru dans Arts & Spectacles du Zone Campus No 3.

Lors de la parution précédente nous faisions paraître pour le département des arts, une annonce demandant des modèles nus. Même si vous n’avez jamais envisagé de poser nu, peut-être que cette annonce vous a intrigué, choqué ou autre? Le modèle, Lucie Bonenfant, a répondu de bonne grâce à mes questions.

Comme plusieurs d’entre vous, sans doute, je me demandais ce qui pouvais amener quelqu’un à être modèle nu, était-ce un genre de thérapie? Est-ce qu’il fallait n’avoir aucune pudeur pour décider de poser nu? Lucie Bonenfant a commencé à poser nu dans les années XX, son copain de l’époque fréquentait l’université et avait vu les annonces demandant des modèles, il a postulé et en a parlé à Lucie. Après l’avoir expérimenté, il a garanti à sa copine qu’elle aimerait ça. Et voilà Lucie partie pour l’aventure! « La première fois que j’ai posé, nous étions trois modèles féminins qui posaient en même temps. Les deux autres avaient de l’expérience, elles se sont dévêtues rapidement et sont allées se placer. Moi, ça m’a pris un peu plus de temps, je réfléchissais, mais aussitôt que j’ai pris la pose et que j’ai senti que les élèves dessinaient, j’ai compris que j’étais un instrument. »

Une thérapie? « Pour moi, personnellement, pas du tout, c’est un endroit où je me sens réelle, je n’ai aucune réflexion sur moi-même, je suis tout à fait là. Je travaille »

Est-ce qu’on peut poser nue et être pudique dans la vie de tous les jours, comme à la piscine? « De poser nue a changé ça, j’avais une sorte de pudeur jeune, mais ça s’est modifié. Par contre dans l’initimité, oui, je suis pudique. Parce que c’est visé. J’ai plus envie de cacher ma cellulite disons, mais c’est surtout parce qu’il y a séduction, on doit plaire. Ici, mon travail n’est pas de plaire. »

Qu’est-ce que ça prend pour être un bon modèle nu? Pour Bernard Neveu, chargé de cours en dessin, il faut être à l’aise avec sn corps, être décontracté, mais il faut aussi avoir un peu le sens de l’harmonie. « De l’agilité, de la facilité, une forme de sensualité. Généralement pour le modèle, être nu ne dérange pas, la difficulté est de trouver des poses »

Et pour Lucie, c’est quoi être un bon modèle? « Être modèle c’est un don de soi. Il faut être capable d’abandon. C’est un abandon à l’échange. Il y a une relation qui existe entre celui qui dessine et celui qui pose. » Elle nous parle de l’expérience des étudiants du cégep quand ils dessinent leur premier modèle nu. « Ce n’est pas évident pour eux, ils sont gênés. Alors si le modèle est gêné lui aussi, il ne pourra pas y avoir d’échange, il ne se passera rien. Je ne suis pas une sans-gêne, mais j’essaie de les mettre à l’aise. » Bien que certains professeurs préfèrent que Lucie ne regarde pas les dessins des étudiants qui débutent, elle croit que c’est important de voir un peu ce qui est fait. « Je dois être attentive, tous les élèves (qui sont généralement placés en cercle autour du modèle) doivent avoir des dos, des devants, des côtés. J’aime beaucoup ça voir les dessins. J’en ai quelques uns. »

Je me demandais quelle est la plus grosse difficulté être nue ou être immobile? « C’est être immobile. Ça ne me pose aucun problème de poser nue devant une classe qui travaille. Je n’ai pas le trac. Mais quelques fois, on tient une pose inconfortable. En modelage, par exemple, le processus est plus long, donc les poses sont plus longues. »

Modèle professionnelle, Lucie Bonenfant pose quelques fois pour des artistes en atelier. « Pour un seul individu ça ne change rien à mon travail, je reçois des vibrations de l’autre. Seul ou en groupe, il y a un contact visuel, généralement je reconnais les gens pour qui j’ai posé. Il se passe quelque chose, c’est une relation. C’est spécial. Des fois, on sent que quelque chose se passe, et après on me dit que ça se dessinait tout seul. »

Lucie a un fils de 22 ans qui a d’ailleurs créé son site internet: www.modelevivant.ca, pour lui tout est correct, il n’a pas été « traumatisé » du fait que sa mère soit modèle nu. Le métier de modèle nu n’est pas terminé pour Lucie, elle continue d’y vivre de belles et de nouvelles expériences. « Cet été, j’ai posé en plein air ». En terminant, elle me raconte une anecdote: « Une fois, un professeur m’a demandé de poser habillée, et ça m’a posé problème, je n’étais pas bien. La fois suivante, j’ai posé nue à la première partie du cours, et costumée à la seconde, et ça a été. En costume, je ne me sentais pas moi-même. Être nue, au fond, c’est simple. »

Article par Mathilde Jobidon paru dans Arts & Spectacles du Zone Campus No 3 en octobre 2005.

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